Spleen et Idéal constitue la section la plus
importante des Fleurs du Mal. Cela est d'abord apparent par le
fait que quatre-vingt-cinq des cent vingt-six poèmes du recueil
y sont regroupés, mais aussi parce que la plupart des thèmes
essentiels de Baudelaire sont ici présents.
Le titre, Spleen et Idéal, est significatif.
On le sait, Baudelaire est, par excellence, le poète du Spleen.
Ce mot anglais était déjà employé en France
vers la fin du XVIIIe siècle et des Romantiques comme Musset et
O'Neddy l'ont mis à la mode vers 1830. Cependant, Baudelaire enrichit
considérablement l'imagerie et la portée de ce terme: désormais,
il ne renvoie plus à une mélancolie rappelant le mal du
siècle, mais il désigne un ennui absolu, existentiel, si
lourd qu'il en devient paralysant. Mais Baudelaire est aussi le poète
de l'Idéal, c'est-à-dire de l'aspiration vers la perfection,
vers le monde des Idées où toute contrainte, désormais,
est effacée.
C'est aussi dans Spleen et Idéal que Baudelaire
aborde les thèmes de l'art et de l'amour. L'art évoque naturellement
l'univers du rêve, de l'imagination, là où l'Esprit
règne sur le monde et échappe au Temps; mais l'art, pour
Baudelaire, est aussi dominé par la Beauté, froide comme
le marbre, ardue à conquérir, presque inaccessible. La dualité
idéal/spleen est donc en jeu ici, de la même manière
qu'elle se retrouve dans la manière dont Baudelaire aborde le thème
de l'amour. De fait, la sensualité inspirée par Jeanne Duval
peut tout aussi bien mener le poète à une langueur rêveuse
qu'à un aigu sentiment de déchéance. L'amour spirituel,
inspiré par Mme Sabatier, ou fraternel sont aisément associables
à l'aspiration vers l'Idéal, mais ils n'empêchent
pas Baudelaire, du moins dans l'édition de 1861 des Fleurs du
Mal (celle retenue ici), de conclure la section sur l'évocation
répétée du Spleen et sur le constat de la défaite
de l'Homme face au Temps.
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