Causa tangor ab omni.
OVIDE.Souvent
quand mon esprit riche en métamorphoses
Flotte et roule endormi sur l'océan des choses, Dieu, foyer
du vrai jour qui ne luit point aux yeux, Mystérieux soleil dont l'âme
est embrasée, Le frappe d'un rayon, et, comme une rosée, Le
ramasse et l'enlève aux cieux. Alors, nuage errant,
ma haute poésie Vole capricieuse et sans route choisie, De l'occident
au sud, du nord à l'orient ; Et regarde, du haut des radieuses voûtes,
Les cités de la terre, et, les dédaignant toutes, Leur jette
son ombre en fuyant. Puis, dans l'or du matin luisant
comme une étoile, Tantôt elle y découpe une frange à
son voile, Tantôt, comme un guerrier qui résonne en marchant,
Elle frappe d'éclairs la forêt qui murmure, Et tantôt
en passant rougit sa noire armure Dans la fournaise du couchant. Enfin,
sur un vieux mont, colosse à tête grise, Sur des Alpes de neige
un vent jaloux la brise. Qu'importe ? Suspendu sur l'abîme béant,
Le nuage se change en un glacier sublime, Et des mille fleurons qui hérissent
sa cime, Fait une couronne au géant ! Comme
le haut cimier du mont inabordable, Alors il dresse au loin sa crête
formidable. L'arc-en-ciel vacillant joue à son flanc d'acier ; Et,
chaque soir, tandis que l'ombre en bas l'assiège, Le soleil, ruisselant
en lave sur sa neige, Change en cratère le glacier. Son
front blanc dans la nuit semble une aube éternelle ; Le chamois effaré,
dont le pied vaut une aile, L'aigle même le craint, sombre et silencieux
! La tempête à ses pieds tourbillonne et se traîne ; L'il
ose à peine atteindre à sa face sereine, Tant il est avant dans
les cieux ! Et seul, à ces hauteurs, sans crainte
et sans vertige, Mon esprit, de la terre oubliant le prestige, Voit le
jour étoilé, le ciel qui n'est plus bleu, Et contemple de près
ces splendeurs sidérales Dont la nuit sème au loin ses sombres
cathédrales, Jusqu'à ce qu'un rayon de Dieu
Le frappe de nouveau, le précipite, et change Les prismes du glacier
en flots mêlés de fange ; Alors il croule, alors, éveillant
mille échos, Il retombe en torrent dans l'océan du monde, Chaos
aveugle et sourd, mer immense et profonde, Où se rassemblent tous les
flots ! Au gré du divin souffle ainsi vont mes
pensées, Dans un cercle éternel incessamment poussées.
Du terrestre océan dont les flots sont amers, Comme sous un rayon
monte une nue épaisse, Elles montent toujours vers le ciel, et sans
cesse Redescendent des cieux aux mers. 1er
mai 1828. |